[MàJ : 30-10-2006]
Mopisland Studio
* Welcome *
>>> Surfaces communes et de communes mesures / 2005
Texte paru dans Exporevue / exposition Translation (M/M) / Copyright
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Les premiers éléments mis à notre disposition pour nous préparer à cette exposition sont un carton 10 cm
x 15 cm et le mot «translation», le nom de l'exposition. Le carton réalisé par le groupe de graphistes
français les M/M (Paris) est signé en son centre et reconnaissable aisément. Les formes en décalages, les
couleurs, l'image détournée et cette seconde d' incertitude sur «ce que l'on nous montre» ne trompent pas.
Trois images se dessinent en une seule sous le signe infini. Environnement, architecture d'intérieur et corps
moulé en plastique sont condamnés à n'exister que sous une unique forme commune. Naturellement
enlacés ils se parasitent mutuellement au sein d'un noeud de Moebius. La lecture de l'ensemble est alors
légère et lisse.
Notre oeil ne se lasse pas des surprises qu'on lui offre à découvrir. Une image qui s'auto-exclue du flux quotidien
d'informations par la place qu'elle laisse au regardeur à lire en elle. Plusieurs scènes se déroulent en
un rendez-vous un peu confus, mais indissociable d'une compréhension complète.
Pas de «titrailles» ni d'informations subaltèrnes, tout est derrière le rideau. Seulement un signe (leur marque
au fer rouge) au coeur d'un des deux noeuds et une histoire qui nous est proposée. A nous de nous y
plonger, car cette fois-ci le choix nous est laissé. Un sursaut d'égo qui aurait pu passer inaperçu si il ne s'en
sentait pas si gêné, d'un vermillon intense leur empreinte concurence d'autres informations dans l'ordre de
lecture.
Le titre de l'exposition au dos de la carte nous met déjà en situation. Ou plutôt sur une dualité, de deux interprétations
nous n'en aurons qu'un mix. Nous serons dans le déplacement, que se soit à partir du
phénomène mathématique ou bien à partir de l'interprétation linguistique. Dans le premier cas il s'agit d'une
transformation ponctuelle faisant correspondre à chaque point, situé dans un espace donné, d'autres points
par l'intermédiaire d'un vecteur. Ainsi le mouvement s'opère sans transformation de l'objet, désormais transportés
en un autre lieu. Dans le second cas la question se pose du potentiel de transcodabilité: peut-il prendre
la «forme de» ? Et quelles pertes cela implique t'il ? Pour les limiter l'usage est de faire appel à un traducteur,
personne qui par son expérience et sa formation saura retranscrire et révéler les richesses d'une
forme littérale. La chose la plus difficile ici est de retranscrire un phénomène, une idée ou une perception
étrangère au référentiel pour lequel ce travail est destiné.
Ici déplacement et interprétation vont certainement se confondre dans un glissement généralisé, en une
surface d'expression commune.
Nous sommes prévenus, les formes que nous allons voir sont déplacées ou sont encore en déplacement.
En cours de transformations ou déjà altérées par ce mécanisme. Ce procédé, cette machine ce sera donc
les M/M (Michael Amzalag et Mathias Augustyniak), reconnus à la fois pour leurs travaux avec Bjork,
Madonna, le magazine Vogue et la complicité qu'ils entretiennent avec des artistes et vidéastes de leur
génération. Quelle confrontation leur vision va-t' elle mettre en place face à la demande du Palais de Tokyo
qui est de mettre en scène certaines des oeuvres majeures de l'une des plus prestigieuse collection d'art
contemporain européenne, la collection Dakis Joannou ?
Par le titre deux niveaux de lecture sont ainsi induits: nous aurons affaire à des oeuvres autonomes et à
d'autres qui existeront dans et par un ensemble. Autrement dit, en vulgarisant: téléportation ou digestion.
Voilà à la lecture des premières informations de cette exposition les axes de lecture auquels nous pourrons
être confrontés. Une surface commune sur laquelle les formes s'autonomisent et s'entremêlent avec les
mots et les choses. Un espace mitoyent à l'art et au non-art qui engendrera peut-être une forme anti-mimétique
dans le sens où la forme sera «mimée» par assimilation. Mais quelle sera la charnière mise en place
par cette confrontation entre Art et Graphisme? Comment l'univers de la «mise en scène» des M/M se placera
par rapport aux oeuvres auquel il sera confronté, serons-nous parallèle à un système social où le rôle
du dominé est de reproduire les caractéristiques du dominant ?
Les premières pièces visible lors de cette exposition sont Elevator de Gabriel Orozco et l'Index des M/M.
Des affiches pour un théâtre, pour Calvin Klein, pour l'actuelle exposition du Palais de Tokyo, pour Pierre
Huygue, la célèbre No ghost just a shell, l'alphabet Super Sister, une déclinaison de motifs en papier peint...
des images pour la plupart connues forment ainsi la palette du duo graphique. Ces images seront leurs outils
et leur langage. Ainsi un objet d'art, un ascenseur, accompagné des éléments qui vont constituer la
parole des graphistes nous ouvrent l'entrée de l'espace d'exposition. Le symbolisme du déplacement conté
par les M/M ?
L'exposition répartie en de petits espaces à demi-ouverts permet une déambulation éclatée, où les choses
se mêlent entre elles par surprise. Chaque passage d'un espace à l'autre est rempli des échos visuels de
l'univers des graphistes parisiens. Les micros espaces conçus en tant que tel (recouvert sur les murs et les
sols d'images ou de motifs imprimés sur papier et moquette) mettent en place une règle où se confronte à
chaque foi l'environnement aux détails. Ce phénomène est présent et amplifié à l'interieur même des ces
surfaces: les oeuvres de la collection Dakis Joannou raisonnent avec les affiches riches d'informations ainsi
qu'avec des installations plus spatiales.
Certaines combinaisons fonctionnent avec charmes, trois lieux se démarquent ainsi par leur pertinence.
L'oeuvre de Yinka Shonibare (Dressing Room, 1997, robe de coton se donnant place de témoignage acide
de l'histoire de la colonisation anglaise dans celle de l' afrique) liée à une série de quatres images (M/M)
représentant des visages du milieu de la mode permet de créer un échange.Visages travestis, salis jusqu'à
la chaire de leur existence bidimentionnelle, conversent avec une entité flottante décapitée. Caricature de
l'exploitation d'un corps. Michael et Mathias se jouent de l'image en la questionnant sur comment elle est
fabriquée.
Mais quelquechose manque tout de même à ces images, non pas une plasticité mais une matérialité. Il
aurait été intéressant de voir ce travail sur un support qui n'aurait pas été sa propre limite. L'expression de
la main n'est pas présente, il n'y a que des réinterprétations, des imitations. La monstration du savoir faire
et la possible contemplation de ces matériaux sont absents: en exemple, une trace qui semble être de la
peinture et qui se serait décupler en le devenant. Bien que l'affiche soit pour un graphiste l'oeuvre ultime il
n'en est pas moins impossible de la désacraliser en la manipulant et en la modelant. Elles possèderaient
cet état si seulement elles n'etaient pas conçues «à la manière de», ce qui n'aurait pas entraîné pour autant
la remise en cause du questionnement.
Elles donnent deux niveaux de réalité: la matière et la réalisation cérébrale. Problématique du médium, qui
nous allons le voir, sera une partie charnière de cette exposition. Mais hélas sous cette forme la matière est
fade. Le graphiste se ressent bloqué de l'autre côté de la sensibilité, de l'autre côté de son ordinateur.
Dans un deuxième temps on assiste à une cohabitation d'une oeuvre de Michael Bevilacqua (Tomorrow
comes today, 2002) avec un mur d'images qui le supporte. Accrochées sur une cimaise blanche immaculée,
des affiches (représentant un mur délabré recouvert partiellement de peinture) mises bout à bout
reforme une nouvelle surface. Une surface commune et de communes mesures. Une nouvelle peau volontairement
inachevée dans les détails car le propos n'est pas là. Pas que là. L'artiste par sa peinture apporte
des icônes, des logos (dans une lignée évidente du Pop Art) issus du monde de la publicité et de la
musique. Les graphistes apportent une reconstitution, une simulation d'un espace qui à déjà vécu, dans
laquelle on peut relire la pièce de Bevilacqua. Mais ici, contrairement aux autres modules, l'oeuvre n'est
pas englobée dans un environnement retapissé d'une trame de fond: bi-dimensionnel pour bi-dimensionnel?
L'affiche est leur outil, le seul à ce qui semble. La même surface doit remplir une double tâche: elle doit
n'être qu'elle même et elle doit être la démonstration du fait qu'elle n'est qu'elle même. Ils utilisent le médium
propre à leur art, d'un côté il est un moyen technique et de l'autre le rapport entre fin et moyen.
Comme dans la cellule décrite précédemment ils opposent perceptions et matières, mettant ainsi en place
un rapport à l'image-même. Un rapport au miroir, à ce que l'image renvoie et ce à quoi elle renvoie: de la
provance à la destination. Au potentiel d'une image à dépaser ses limites, à créer des rencontres improbables
avec le regardeur, de l'environnement à son géniteur. Une vraie-semblance pour donner la réplique à
une réalité, pour mieux montrer d'où elle provient. La nature de l'oeuvre ne disparait pas, elle se glisse dans
l'écart qui existe entre les différents moyens de production de sens: une peinture en image supportant une
peinture qui fait des images...
Ce mur reconstitué, transporté de là ou il est, son ça-a-été, comme une peau décollée des choses donnant
corps au fantasme du tout à un sens, du tout parle, «de la vérité gravée sur le corps même des choses»*.
En projettant l'immédiateté de celui-ci par le processus d'impression, tous les «entre-deux» existants entre
ce-dernier et l'affect rendent le sentiment exprimable.
La troisième mise en scène, particulièrement réussie, se situe en fin de parcours, dans un salle dérobée
simplement ouverte d'une porte contrairement à la structure précédente de l'exposition. Nous sommes dans
un face à face, isolés et sans recul. Jeffs Koons, avec quelques très belles pièces jouent (elles aussi) sur
différents niveaux de perceptions. Des trompes l'oeil nous narguent de leur légèreté ainsi que de leur finission,
créant des pièges fascinants pour nos yeux. Les répliques en béton, de diverses bouées d'enfant,
accrochées avec humour trompent nos sens: entre notre désir de jouir encore une foi de ces objets infantiles
et leur matérialité qui nous «fixe les pieds sur terre», nous sommes exclus littéralement de la possible
réalisation de cette jouissance retrouvée.
Entre le questionnement sur les objets d'art, l'analyse des désirs collectifs et les hurlements de ces femmes,
réduites par le langage du duo parisien à des contorsions horrifiantes afin de s'exprimer typographiquement,
nous sommes bercés dans un va et vient d'échos et de reflets. Projetés à grande vitesse dans une
mise en abîme de l'image. Ce à quoi nous assistons, tel un final, apparaît comme une série d'opérations
produisant un écart, une dissemblance. Les mots aux murs décrivent ce que l'oeil pourrait voir ou expriment
ce qu'il ne verra jamais: ils éclairent et obscurcissent nos idées. Des formes proposent une signification à
comprendre ou à renverser: Jeux entre les exclusivités du visible et des formes qui n'y appartiennent même
pas, il y a ainsi du visible qui ne fait pas d'image.
Dans les trois exemples précédemment cités les oeuvres se complètent pour n'en former qu'une seule.
Digérée, la mise en scène s'efface, les frontières entre art et graphisme se font discrètes au point de ne
plus exister. Et la conversation se fait entendre. Les cartouches absents rendent la navigation encore plus
difficile, les artistes ne sont pas identifiable (ou presque car les oeuvres sont majeures dans l'histoire de
l'art), nous avons ainsi la sensation de nous retrouver dans un espace «confus». Un simple numéro peint
(avec la typo Tokyo Palace dessinée par les M/M) au sol nous indique une trajectoire possible, un itinéraire
conseillé vers un espace globalisant. Les oeuvres par leur reconnaissance laisse place à l'intérêt que sucite
l'espace d'entre-deux développé.
Un langage précis est utilsé par le duo parisien, celui de l'affiche au format 160cm x 120cm. La confontation
entre des oeuvres significatives et des environnements de motifs nuancés aux anecdotes insignifiantes
reconstitue simplement notre monde. Telle une image photographique partagée entre son studium et son
punctum: le premier est un matériau à déchiffrer le second nous frappe par sa force propre.
Déclinées en papiers peints pour la plupart du temps, elles retracent comme dans l'espace nommé 8 (avec
la présence d'une oeuvre de Ashley Bickerton de 1993, F.O.B) un travail graphique appliqué à la commande.
Ici le travail s'échellonne de 1997 à 2005, on y remarque un réel engagement et une profonde
recherche typographique inscrite sur une image détournée ou en décalage avec l'information diffusée.
Comme il a été dit leur outil est toujours renouvelé mais hélas jamais dépassé alors qu'il questionne la
notion même de médium. Bien que ce bras de fer avec l'espace, ce parti pris fut d'une audace incroyable
cela n'eut pas été suffisant. Le problème se situe dans la réutilisation de leur propre réalisations, la «commande
» était de mettre en scène certaines oeuvres afin de leur donner une nouvelle approche, leur permettre
de nouvelles confrontations. Mais par une réutilisation trop fréquente d'anciens travaux, leur qualité n'étant
pas en cause, on peut se demander si l'on ne se trouve pas dans la situation inverse: une exposition
des M/M ponctuée d'oeuvres marquantes. Bien que leur travail n'était qu'une «mise en scène», il est trop
rare de dégager un espace sans théâtralisation. Leur but était-il de raisonner en tant qu'artistes ou
graphistes ? Cette question trouve facilement une réponse lorsque leur langage, n'est plus reconnaissable
comme ayant pas appartenu à la commande. Quand les images ne jouent le rôle de leur propre dérision.
La volonté du Palais de Tokyo était d'amener sur un autre terrain la notion même d'exposition, de monstration,
de relation au regardeur et de représentation. Les M/M étaient-ils les seuls à pouvoir répondre à ce
challenge, en france peut-être. L'exposition nous révèle des graphistes qui répondent à une commande
d'une manière intelligente avec des partis pris surprenants, remplis d'humour et parfois pulsionnels, car il
faut saluer le geste. Le duo parisien va, en effet, plus loin que ce que nous laissais entendre le cahier des
charges établi par le Palais de Tokyo: la mise en scène est dépassée et un réel questionnement à été
développé autour de la frontière commune Art - Graphisme.. Une exposition qui est loin de révéler toutes
ses richesses par les quelques lignes précédentes, un travail qui fait apparaître aussi par ses défauts et ses
maladresses des questionnements qui sont au coueur de notre contemporanéité.
* Le destin des images, Jacques Rancière, 2004,
édition La Fabrique.
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